Le voyage

Voilà il y était enfin arrivé. Après des années d’entrainement il avait été enfin sélectionné pour la finale. Tout se passait ici, au milieu des États-Unis, à Las Vegas évidemment, la Mecque du jeu électronique de guerre, l’entrée du paradis vers les meilleurs simulateurs, les plateformes les plus réalistes du moment. Cette compétition ouvrait ses portes à des milliers de « geeks », les meilleurs, qui s’étaient affrontés durant des années dans le monde entier. Le jeu permettait de rejoindre une unité spéciale, de piloter des soldats, des chars, des drones, et de tenter de mettre à mal ses adversaires issus des quatre coins de la planète. Tout ceci dans un environnement hyper réaliste. Il avait ainsi suivi des ordres de marche provenant de commandements fictifs, mené des interrogatoires musclés auprès des ses adversaires fantômes, lancés des raids aériens. Ses résultats exceptionnels lui avaient permis de prendre du galon dans le jeu et de franchir les étapes de responsabilité. Il avait été ainsi amené à diriger des équipes de joueur dans des parties qui devenaient de plus en plus tactiques. Ce jeu c’était sa vie. Ses partenaires de jeu ses amis. Et grâce à ça il était là. LA FINALE. Les quelques heureux gagnants se voyaient offert un salaire mirobolant pendant 5 ans pour jouer gratuitement, tester les différents logiciels et aider au développement des plateformes. Incroyables. Tous les gamers en rêvaient.

Que la partie commence

Samuel se trouvait devant l’entrée tapageuse , le cœur battant la chamade. Des simulations géantes en 3D des héros de son jeu préféré encadraient l’entrée. Une hôtesse au décolleté plongeant, comme sortie d’un comics, accueillait les finalistes, un sourire rouge sanguin aux lèvres et des dents de carnassier. Son œil bleu métallisé, soutenu par un fin très noir d’eye ligner suivait attentivement les participants. Elle contrôlait les papiers d’identité ainsi que la carte d’accès à l’antre sacrée, s’assurant de la légitimité du participant à cette finale incroyable. Elle arriva vers lui, lui sourit suavement et lui demanda ses papiers. Il les sortit docilement, intimidé. Le contrôle se fit dans le silence et quand elle releva la tête c’est avec un large sourire beaucoup plus chaleureux qu’elle l’invita à entrer, lui donnant son bracelet d’accréditation et les différentes clés qui lui permettraient d’accéder aux simulateurs de jeux. Il enfila le bracelet, s’approcha lentement de la lourde porte et entra. Un rideau insonorisé créa un sas silencieux, impressionnant. Il tira le rideau et entra alors dans un univers remplit de bruit, de lumière et de cri. Une odeur de sueur flottait. Un tapis rouge guidait le visiteur d’installations gigantesques en engins stupéfiants. Il observa nerveusement ses concurrents qui comme lui regardaient avec des yeux ébahis cet endroit hors du temps. Son bracelet se mit à clignoter d’une lumière verte alors qu’il s’approcha de la première installation, reproduction géante d’un hélicoptère de guerre. Une hôtesse arriva tout sourire et lui tendit un dossier sur lequel était inscrit « TOP SECRET ». « Bonjour Mr Adams, bienvenu dans la première étape du jeu, la mission 0. Vous trouverez toutes les instructions dans le document suivant. Nous vous laissons prendre place dans votre véhicule. La clé pour cet engin et la numéro 5 ». Elle l’accompagna au pied de l’hélicoptère et il y entra maladroitement. Une fois assis la porte se referma et les vitres s’assombrirent. Les lumières du tableau de bord s’allumèrent et il vit apparaitre une projection ultra réaliste d’un base militaire au milieu d’un désert. Il ouvrit alors le dossier classé « TOP SECRET » et en commença la lecture attentivement. Le dossier parlait d’une attaque terroriste dans une ville des États-Unis. Il devait sécuriser le périmètre et prendre en chasse les terroristes. Aucune perte humaine n’était tolérée. Il mis son casque et trouva la clé 5 sur le trousseau. Au moment où il la tourna dans l’interrupteur le microphone s’activa, le moteur commença à tourner. Devant lui le sable, soufflé par les mouvements des ailes s’envolait en tourbillon. Il sentit le sable du désert, la chaleur envahit le cockpit, le bruit de l’hélicoptère et de la base lui arrivait atténué par le casque. Les différents joueurs sur le terrain étaient déjà en action sur le périmètre à sécuriser. Il en connaissait certains. La base de commandement répondit rapidement à ses demandes de décollage. Il agrippa le manche de pilotage et décolla en pour commencer sa mission, concentré, tendu. Il savait qu’il jouait sa place en finale à chaque étape.

Mission accomplie

Après 10 heures, il atterrit enfin. Il avait réussi. Tous les objectifs avaient été atteints, il avait même contribué à la capture des terroristes en en laissant quelques uns vivants pour des interrogatoires futurs. Lorsque la clé sortit de l’interrupteur brusquement les lumières se rallumèrent, l’air frais de la climatisation le rafraîchi immédiatement. Il se retrouva au milieu de la grande halle du concours, transpirant. La température revint à la normal rapidement, le casque redevint silencieux. Il le déposa religieusement à côté de lui, les yeux brillants, encore dans toutes les émotions qu’il avait vécues ces dernières heures. La porte de l’hélicoptère s’ouvra et l’hôtesse, une autre qu’à son arrivée, le félicita pour sa performance. Il était dans les dix meilleurs. Elle lui montra sur son écran tactile le classement intermédiaire, les points de chaque joueur, lui sourit et l’invita à aller se reposer, boire et manger dans les aires dédiées au repos. Sa prochaine mission commençait dans 3 heures. Le stress et le manque de sommeil faisaient partie du jeu, et les participants devaient s’affronter pendant une semaine en restant cloitrés dans cette halle, mangeant et dormant peu. Rapidement il se rendit à l’aire de repos et s’installa sur un des fauteuils massant, espérant gagner quelques minutes de sommeil sur ses concurrents, il oublia même de manger se que l’hôtesse lui amena rapidement. Des sandwichs, du coca et du jus d’orange. Les épreuves s’enchainèrent pendant 7 jours. Missions diverses, attaques, pilotages de divers engins. Même si il ne gagnait pas, avoir pu jouer dans des simulateurs de cette génération valait bien le prix du billet.

La victoire

Le bâtiment qui accueillait les gagnants était de dernière génération. Une immense tour, brillante, au milieu de Las Vegas. Tout était fait pour que les joueurs n’aient pas à sortir. Piscine, sauna, salle de sport, restaurant, masseurs. Les chambres, coquettes, étaient dotées d’une immense baie vitrée donnant sur la ville de débauche. Les menus étaient équilibrés, les joueurs étaient choyés. Des coachs s’occupaient de leur santé. Leur alimentation était contrôlée. Ils passaient près de 10 heures par jour à tester des jeux ultra sophistiqués, l’avenir du jeu électronique. Quand Samuel entra dans sa chambre il fut ébloui. C’était une suite qui se composait d’un vaste salon ouvert sur une cuisine et d’une superbe chambre. La ville clignotait devant lui. Il avait hâte de commencer même si il sortait de près de 100 heures de jeu intensif. Il avait traversé avec succès toutes les étapes de la sélection! Oui il avait gagné son ticket d’entrée au paradis du joueur. 5 ans à ne plus faire que ce loisir, entouré d’autres passionnés. Il pouvait faire venir sa famille et ses amis si il le souhaitait. Mais il était célibataire. Il se limiterait à quelques visites de ses anciens amis, pour les rendre jaloux de son succès. Il aurait pu aussi choisir de rester chez lui. L’entreprise installerait alors à son domicile les simulateurs et les plateformes à tester. Mais il préférait vivre ici, comme la plupart des gagnants, dans ce luxe incroyable immergé dans sa bulle. Il avait déjà rencontré ses paires à la cafétéria. Tous des gamers accros, passionnés, les conversations s’étaient déjà enflammées sur toutes les améliorations qu’ils comptaient proposer au comité des jeux, auxquels tous participaient chaque mois. L’entreprise était organisée par étage, chacun étant responsable d’un type de jeu. Ils testaient les missions, remettaient en cause le réalisme de chaque scène, proposaient les évolutions. Ainsi les interrogatoires des suspects dans des bases de prisonniers avaient été proposés par les dernières générations de gamers qui avaient passé dans la tour, et cela leur avait rapporté gros. Il espérait ainsi lui aussi trouver la prochaine évolution qui le rendrait célèbre et assurerait son avenir. Les évolutions majeures rapportaient des royalties à vie aux joueurs qui n’en étaient que plus motivés par leur mission. Mais il savait que pour trouver des idées il fallait se plonger dans l’univers de chaque prototype, en tester les limites et la crédibilité de chaque dossier. Il était prêt, ce serait lui la prochaine star du jeu.

La base

Derrière sa vitre fumée le commandant observait les nouveaux arrivés prendre leur quartiers. 

         – C’est lui dont vous m’avez parlé? demanda-t-il à son second et faisant un signe de tête dans la direction de Samuel.

         – Oui monsieur, des 50 nouveaux soldats, c’est lui le meilleur. Et le plus malin il semblerait.

         – Il faudra vous assurer qu’il n’y ait pas d’accident comme lors de la dernière volée, n’hésitez pas à le sortir des missions prioritaires si il venait à se douter de quoi que ce soit.

         – Oui monsieur, nous y sommes attentifs. Le système de sécurité à été renforcé et le suivi psychologique se fait également hors du lieu de travail maintenant.

Il toucha sur l’écran Samuel qui avançait dans le couloir, un sourire au lèvre, et immédiatement sa chambre apparue, dans un kaléidoscope d’image permettant d’inspecter chaque recoin de son univers.

         – Bien dis le lieutenant. Si nous faisons maintenant appel à des civils pour mener à bien nos opérations sur le terrain nous ne pouvons plus tolérer aucun suicide. C’est déjà ce qui avait amené l’armée à mettre en place ce programme.

         – Oui monsieur.

         – Je veux un rapport hebdomadaire sur tous les joueurs, le type de mission sur lesquelles ils ont été envoyés. Ne mettez sur le terrain que les meilleurs pour éviter les erreurs que nous avons eu à déplorer lors du dernier raid.

         – Oui monsieur.

         – Bonne journée

Un nouveau monde

Ali avait 7 ans. Il courait en zigzaguant sur les décombres encore fumant de sa ville. Il pleurait. Les derniers bombardements lui avaient enlevé sa maison, ses parents, sa soeur. Il était seul au milieu des débris, miraculé on ne sait comment. L’espoir l’avait quitté depuis longtemps, usé par une guerre qui l’avait vu naitre et qui ne semblait plus vouloir s’arrêter. Le pays avait été déchiré de l’intérieur 10 ans auparavant, les hommes jusque là frères, avaient adhéré à un camp ou à un autre, et commencé à s’entretuer pour des idéaux auxquels ils ne croyaient maintenant plus vraiment. Les intérêts et les enjeux de leurs voisins, des américains, des russes n’avaient fait qu’entretenir la guerre qui ne semblait plus vouloir s’arrêter.

Tout à coup il entendit derrière lui le bourdonnement caractéristique. Il se retourna. Un drone le suivait. Il l’avait repéré. La lumière rouge clignotait, l’appareil était immobile, presque amical. Ali ferma les yeux.

Samuel l’observait sur son écran. La « mission chaos » ne devait laisser aucun témoin, semant le doute sur la responsabilité des différents protagonistes et entretenant la confusion. C’était le dernier, il l’avait traqué dans les vestiges de la ville, repéré alors qu’il courait tel un animal blessé. Il sourit. Tira. Mission réussie.

Tendances