La Bête

Naissance

Il ne l’avait pas vu s’approcher, cette petite bête. Il aurait pu alors rapidement l’éloigner, d’un simple revers de la main. Même un souffle aurait suffi à la mettre à terre. Car au début, elle était faible.

Elle virevoltait péniblement autour de lui, sans s’approcher, et passait ainsi inaperçue. Parfois, si l’on avait de la chance, elle mourait dans sa prime jeunesse, souvent quand un ami la repérait et la mettait à terre d’un seul regard.

Mais la plupart du temps, sans intervention, elle grandissait lentement, prenait de l’assurance et devenait plus forte. Avec le temps elle volait de plus en plus près, de plus en plus vite, vrombissante. Il la sentait passer mais elle s’éloignait aussi vite qu’elle s’était approchée. Pas de quoi se méfier.

Premier contact

C’est à l’âge adulte que sa présence devint beaucoup plus inquiétante. Elle était devenue vigoureuse et combattante. Elle s’était enhardie et commençait à se poser sur lui de temps à autre, s’accrochant à ses cheveux. Mais il ne la voyait pas.

Son corps lui tentait de se défendre, maladroitement, démuni devant l’ennemi. Des tics s’étaient progressivement installés. Il s’arrachait régulièrement quelques mèches, croyant répondre à un besoin compulsif, un toc. Il culpabilisait alors en réalisant que cette mauvaise habitude s’installait, et que chaque jour, méthodiquement, il mettait à nu des parties entières de son crâne, poil par poil.

Mais c’était elle. Elle était là. Elle guettait, évitant habilement les tentatives maladroites d’éradication.

L’attaque

C’est un soir qu’elle se décida à entrer vraiment en action. Alors qu’il dormait elle s’introduisit dans son oreille et attendit, patiemment. Il se réveilla, un peu troublé, inquiet sans savoir pourquoi. Et il commença sa journée comme il en avait l’habitude. Son train-train se déroula sans accro. Les événements habituels se succédèrent sans surprise.

Et puis tout à coup, elle attaqua. Ses ailes noires et ses pattes se déployèrent et elle creusa lentement son chemin dans sa tête. Ce jour-là il la sentait envahir lentement son cerveau, impuissant. Les effets se faisant sentir dans son ventre qui se serrait, ses mains qui devenaient moites, ses jambes qui tremblaient.

Il ne tenta même pas de l’empêcher de progresser, submergé par les sensations que déclenchait cet assaut. Pourtant s’il avait su il aurait pu l’arrêter, mais déjà il était trop tard. Elle était là maintenant, installée, toute puissante.

La honte

Personne ne devait savoir, personne ne savait. Elle lui infligeait mille supplices mais quand il voulait crier aucun son ne sortait. Elle le contrôlait.

Devant son mal être, incompréhensible, les docteurs se succédèrent lui prescrivant des listes sans fins de médicaments qui auraient dû l’endormir, ou peut-être même la tuer. Mais rien n’y faisait. Elle s’était bien cachée. Tout là-bas, au fond. Et régulièrement elle se réveillait, se manifestait violemment.

Il pleurait, souffrait, mais personne n’entendant. Il semblait aller tellement bien. Mais il était triste, maussade et renfermé. Cette douleur toujours présente ne lui donnait plus envie de sourire.

Lentement ses amis, sa famille s’éloignèrent. L’abandonnèrent à son triste sort. Seul avec la bête qui grandissait en lui. De plus en plus seul il tentait de l’endormir par de longues balades qu’il réalisait, hagard, seul en montagne. Se perdant dans les sentiers escarpés qu’il trouvait, tentant de lui faire peur en la confrontant au vide et lui disant, tu vois, si je meurs tu meurs.

Happy End

Après des mois d’errance, au détour d’un sentier qu’il se trouva devant un vide fascinant. Le vent remontait contre les rochers et lui soufflait sur le visage. Il se pencha et observa la falaise escarpée, le pierrier tout là-bas en bas. L’air, le soleil et cet oiseau qui tournait majestueusement dans ces thermiques. Pendant un bref instant il se sentit de nouveau bien, libéré. Et il eut envie que cela continue. Il s’avança décidé et apaisé vers le bord du précipice.

Tendances