La genèse


Cela avait commencé insidieusement, au cours des années où la télévision avait lentement mais sûrement conquis les foyers de la classe moyenne. Les images avaient pris possession du monde réel. Avant, on parlait, on écrivait, on dessinait. Les avis de recherche étaient des esquisses faites par des dessinateurs aguerris, les photos étaient rares et coûtaient cher. Un portrait familial s’encadrait, se chérissait, et son sujet devenait l’idole des foyers. Les regards des ancêtres, sombres et inquisiteurs observaient les nouvelles générations depuis le mur du salon, silencieux.
Puis les journaux avaient accueilli la photographie. Bientôt on pouvait même admirer des reproductions de toiles célèbres dans son salon. L’appareil photographique se démocratisait, l’impression devenait accessible à tout le monde. La caméra permis aux nouveaux cinéastes amateurs de réaliser des heures de films inutiles. Enregistrés puis oubliés.
Mais c’est le petit écran qui réellement changea le monde. Pour la première fois on pouvait tout voir, et croire tout comprendre. Plus besoin de voyage, de discussion, d’expérience. Tout était là, diffusé 24 heures sur 24. A disposition. L’image, bien plus que le son devint ainsi omniprésente, envahissante. Et plus encore que l’image, c’est au support de celle-ci qu’on prêta un attention tout particulière. Les présentateurs, les acteurs, les participants aux différentes émissions étaient très méthodiquement sélectionnés pour leurs qualités diverses, mais bien avant tout physique. D’abord assez commun, l’échantillon était devenue de plus en plus sélectif, ne reflétant plus qu’une infime partie de la population. C’est alors que la guerre du beau avait commencé. Elle avait certes toujours existé, mais jamais avec une telle intensité et surtout c’était devenu un business, qui faisait tourner ce nouveau monde et assurait aux pays industrialisés l’inflation positive nécessaires à leur bilan flamboyant.
Fitness, chirurgie, cosmétique, maquillage, habits, électronique, centre de remise en forme. Tout avait été mis en place pour que monsieur et madame tout le monde puisse se rapprocher de leurs idoles. Tout au moins physiquement. Cette immense industrie avait généré des milliards, encourageant l’étalage de qualité physique, de jeunesse, de sourire blanchis sur les petits écrans. Mais au cours de années 2000 un nouveau problème était apparu. Voilà que la population vieillissait, ou en tout cas celle qui pouvait consommer. Et pour cette tranche là il devenait de plus en plus difficile de s’identifier à ces stars juvéniles, à peine sorties de l’adolescence. Alors on modernisa le concept. Certes il fallu rester beau, mais vieux. Les exigences sélectives augmentèrent. Il fallait accuser les années qui passent avec classe. Une élite priviliégiée, musclée, tonique, liftée et botoxée prix possession du petit écran. Les nouvelles technologies réservées jusque là à l’élite se démocratisèrent. Les MILF, les cougars, les vieux beaux firent leur apparition sur nos écrans et en prirent possession. Chaque tranche d’âge présentait ses sponsors, ses produits. Elle la consommation continuait. Effrénée, sans fin. En 2015, on voyait à l’écran arriver des stars de 70 ans reprendre leur rôle de jeune premier.. Encore plus sexys qu’à leurs débuts.. Le public admirait, rêvait, espérait.


Un nouveau monde


Et la sélection naturelle opérait, naturelle mais insidieuse. Les hommes et femmes de pouvoir étaient beaux, ou se mariaient avec ceux qui l’étaient. Les enfants le devenaient. Et ainsi la descendance masculine des familles richissimes mais jusque là très médiocres physiquement se transformait en éphèbe après trois génération.
Les pauvres que la nature avait gâté se trouvaient propulsés à des postes au dessus de leur compétence rapidement. Ils s’accouplaient avec des moins beaux plus intelligents, et la nouvelle génération possédait le monde.
Les ratés, les infirmes, les malades, tout ce qui sortait de cette élite sans correspondre aux critères était soigneusement gardés dans des centres. A l’abri des regards et de la honte qui pourrait s’abattre sur leur famille. Certains enfants étaient échangés avec des familles pauvres qui avaient mis au mondes des merveilles, ce qui étonnait de plus en plus de spécialistes car autant de laideur ne pouvait qu’engendrer des monstres !
Après 2 siècles la civilisation entière avait été répartie naturellement par richesse et beauté physique. La mondialisation avait permis le brassage du patrimoine génétique et on distinguait très nettement 8 nouvelles races par la couleur de leur peau, cheveux, yeux et taille. Chaque spécimen était d’une époustouflante réussite. Des traits racés, des corps musclés et harmonieux. Dotés pour la plupart de bonnes capacités intellectuelles. Cette élite habitait dans des cités dorées, propres, aseptisées. Elles consommaient uniquement des produits synthétiques, calibrés à leurs besoins.
Autour, dans des tours grises vivaient le reste de la population. Les serviteurs, les laids. Nul besoin d’étiquettes, de brassard, ils étaient partout où les exigences du travail ne laissaient espérer aucune progression. Partout où la tâche était dure et les conditions difficiles. Livreur, serveur, déménageur, travail à l’usine. Des foules hideuses et insipides déambulaient dans les rues pour permettre à l’élite de céder à tous ses caprices. L’argent n’existait plus. On était d’un côté ou de l’autre selon son physique. La beauté déterminait l’échelle sociale. De tout manière, depuis une siècle il n’y avait plus que des personnes belles dans la classe des riches, et uniquement des laids chez les pauvres. Plus besoin d’argent alors pour acquérir ce dont ils avaient besoin. Ils possédaient déjà l’ensemble de cette monnaie d’échange. On avait supprimé les banques, les systèmes de paiement.
La classe oisive avait droit à tout, les biens étaient répartis pas « classe de perfection ». La classe travailleuse aussi mais les biens n’étaient pas similaire. Les palaces et les voyages dans des avions affrétés à leurs standards pour les nantis. Les transports en commun et la télévision pour les autres. De la nourriture naturelle pour la classe ouvrière, et une alimentation synthétique ultra sophistiquée et contrôlée pour l’élite. Quand des erreurs survenaient d’un côté comme de l’autre on échangeait parfois les bébés dans des banques d’enfant. La seule institution qui avait subsisté était ces orphelinats de la laideurs.


Une famille idéale


Jacquie et John avaient eu trois enfants superbes. Bien évidemment dans la couveuse artificielle. Impensable à cette époque d’accepter toutes les traces et les tracas causés par la grossesse. Les enfants naissaient en parfaite santé, le matériel génétique avaient été testé et implanté dans la machine qui s’occupait de la gestation sans laisser de place à un quelconque hasard.
Le quatrième enfant était le dernier. Le bruit de leur tribut commençait à les incommoder et ils devraient probablement déménager dans une villa encore plus grande si un 5ème enfant devait se présenter, ce qui ne les arrangeait guère. Leur beauté était époustouflante, c’étaient des réels chefs d’oeuvre de leur siècle. De fait ils avaient droit à tous les égards, leurs villas étaient la mieux placée, leur personnel le meilleur, leur voiture et leurs loisirs incroyables.
Jacquie, comme tous les matins, allait admirer sa progéniture grandissante dans la machine, observant depuis une petite vitre l’embryon devenir foetus puis bébé. 9 mois, le travail de gestation allait tout bientôt arriver à son terme. C’était une petite fille, aux yeux bleus. Ils avaient sélectionnés les embryons avec soin et leur choix s’était porté sur ce matériel génétique exceptionnel. De grande chance d’avoir une intelligence au dessus de la moyenne, une beauté hors du commun. D’avance cela s’annonçait comme une réussite.
Quand elle s’approcha de la machine elle compris tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond. Le ronronnement habituel était absent. Inquiète elle inspecta rapidement l’ensemble de l’appareil. Mais tout semblait en ordre. Elle appela immédiatement le service technique qui sonna dans la minute à sa porte. L’installateur, laid comme ils l’étaient tous, fit le tour de l ‘appareil. Non tout était en ordre. Fausse alerte. Ces machines étaient extrêmement fiables. Rassurée et elle jeta un coup d’oeil par la vitre pour admirer son chef d’oeuvre et retourna contempler la baie depuis sa terrasse en sirotant un cocktail vitaminé.
4 semaines après le bip de naissance retentit dans l’appartement. La petit Marie était née et pleurait dans les bras de la nounous dans la cuisine quand ses parents arrivèrent pour la contempler.


L’anomalie


Ils s’approchèrent, émus, de leur progéniture. Ses grands yeux bleux, souriants, étaient déjà ornés de longs cils noirs. Elle regardait, presque souriante, ces ombres bienveillantes.
Ils la prirent dans les bras, l’embrassèrent, et commencèrent à la bercer doucement.
Jacquie la regardait amoureusement quand son attention fut retenue par une petite tâche rouge, presque invisible à l’oeil nu, qui se trouvait sur la joue droite, à la hauteur de la pommette. Une toute petite pointe rouge. Inquiète elle s’approcha, inspecta alors le reste du corps, fébrilement, puis désigna horrifiée cette anomalie à son mari. Effrayé, ce dernier saisit rapidement son mutateur et commença une discussion violente avec un correspondant du corps médical, en charge des machines de gestation. Dans la seconde ou la conversation cessa la porte sonnait et un spécialiste des anomalies se présentait. Immédiatement il identifia l’imperfection sur la petite Marie. Une minuscule tâche de naissance. Il inspecta avec soin la machine. Les parentes observaient avec dégoût cette progéniteur imparfaite. Un fort sentiment de rejet avait remplacé en un instant les bouffées d’amour et d’émotion qui s’étaient jusque là manifestées. Ils ne voulaient même plus la regarder. Le technicien agenouillé maintenant poussa un petit soupir de déception et se leva, navré, une minuscule fourmi entre ses doigts. L’insecte vait dû réussir à s’introduire dans la machine en fin de gestation et avait dû générer cette petite rougeur sur la joue, malheureusement définitive. Une opération était possible mais elle créerait sans nul doute une cicatrice. Le jeune couple savait qu’avoir un enfant, même aussi parfaitement beau avec cette minuscule imperfection leur vaudrait un déclassement en catégorie inférieure. Fini les jets privés, les belles voitures, les palaces, tout serait avec un peu moins de luxe et de grandeur.
Le technicien se leva et regarda les parents, interrogatif. Tout était à la charge de son entreprise, le défaut n’ayant pas été signalé par la machine commme elle le devait. Les parents lui tendirent l’enfant sans hésiter. Marie n’émit aucune protestation, elle tentait maladroitement de faire fonctionner son corps dans ce nouvel environnement. Le technicien pris l’enfant et le déposa dans une boîte qu’il avait amené et sortit rapidement de l’appartement. Il rentra rapidement dans son véhicule et lévita jusqu’à une borne de recyclage où il jeta négligemment la boîte sans aucune hésitation.
Jacquie et John se regardèrent soulagés. Dès demain il remettraient en route la machine à gestation pour un nouvel enfant, parfait cette fois-ci ils en étaient sûrs.

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